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Día de los Muertos : crânes en sucre et appropriation culturelle
Ces dernières années, les crânes en sucre (« calaveras de azúcar » en espagnol, ou tout simplement « calaveras ») sont devenus très populaires dans le monde de l’art et de la mode. Tous les ans au mois d’octobre, une flopée de costumes d’Halloween et de kits de maquillage dédiés à ce symbole déferlent dans les rayons de nos magasins. Néanmoins, inutile de préciser que ces têtes de mort en sucre ne trouvent pas leur origine dans la tradition d’Halloween, mais bien dans la fête mexicaine du Jour des morts. Ce « Día de los Muertos » est d’ailleurs de plus en plus connu aux États-Unis, ce qui rend les calaveras d’autant plus populaires aux quatre coins du monde. Ceci dit, avant de vous lancer et d’en inclure dans vos œuvres, voici quelques points à garder à l’esprit.
Quelques clarifications
De nos jours, quand on vous dit Halloween, vous pensez immédiatement à sa version états-unienne : bonbons, déguisements et tournées des voisins (en espérant qu’ils soient généreux cette année). Sans oublier, bien sûr, une grosse pincée de grotesque, d’horreur et de peur. Le plus souvent, il s’agit d’une fête tout à fait hédoniste où l’on s’empiffre de sucreries. Le style de costume varie selon chacun : terrifiant, provocant, drôle, bizarre… Il y en a pour tous les goûts, et chacun y trouve son propre terrain d’expression.
Le Día de los Muertos, lui, a une tout autre portée : il s’agit là d’honorer la mémoire de sa famille ou de ses amis disparus. Il s’inspire d’une célébration catholique (la commémoration des fidèles défunts) ainsi que de rites pratiqués par les Aztèques et d’autres peuples indigènes. Le Jour des morts est une fête pleine d’énergie, qui ressemble très peu à notre version actuelle d’Halloween, ou même à notre Toussaint. De la nourriture, des bougies et des calaveras sont déposés sur les tombes des défunts en guise d’offrandes (« ofrendas »), ainsi que de nombreuses fleurs de cempasúchil, censées attirer les âmes des morts. Contrairement au caractère effrayant d’Halloween, le Día de los Muertos est une fête pleine de gaieté.
Certes, on a connu plus joyeux que de passer la nuit dans un cimetière entouré d’esprits et de décorations en forme de têtes de mort. Sauf qu’au moins, un crâne en sucre n’a rien de grotesque ni de traumatisant. Adieu, fantômes, monstres et autres citrouilles ! Ici, place aux glaçages aux couleurs vives, ornés de perles, de plumes ou même de strass. Les motifs les plus utilisés sont les croix (symbole de l’influence catholique), les fleurs de cempasúchil ou encore les mandalas. Souvent, le nom du défunt est écrit sur le front du crâne créé en son honneur. En somme, la décoration d’une tête de mort en sucre n’a rien de macabre – c’est une activité pleine de joie qui célèbre la vie d’un être aimé.
Appropriation vs appréciation
L’un des plus gros dangers pour un artiste qui s’intéresse aux symboles d’autres cultures, c’est de tomber dans le piège de l’appropriation culturelle. L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’une culture dominante ou une majorité empruntent des éléments d’une culture minoritaire pour les utiliser en dehors de leur contexte de base. Attention, à ne pas confondre avec la notion d’assimilation culturelle, dans laquelle ce sont les cultures minoritaires qui adoptent certains aspects d’une culture majoritaire afin de faciliter leur intégration. L’assimilation culturelle est une contrainte, tandis que l’appropriation culturelle est une forme d’oppression des minorités.
Aux États-Unis, l’appropriation culturelle se manifeste par exemple par l’utilisation et la représentation de symboles propres aux Amérindiens de manière déplacée et stéréotypée. Ces costumes de Pocahontas et d’Indiens que vous voyez tous les ans ? Voilà une illustration concrète de l’appropriation culturelle. Le même constat peut être observé avec les déguisements supposés vous transformer en Mexicain (et plus généralement avec tous les costumes censés représenter les tenues traditionnelles d’un groupement ethnique). Eh oui, vous l’avez deviné, vous maquiller façon tête de mort mexicaine est aussi un exemple d’appropriation culturelle.
En art, la question des calaveras est assez épineuse. Généralement, l’art est très permissif. Car l’art, en fin de compte, est une forme d’expression qui ne devrait subir aucune censure. Par contre, il existe sans aucun doute des approches plus correctes que d’autres – après tout, l’appropriation culturelle reste l’utilisation par une culture majoritaire d’éléments d’une culture minoritaire en dehors de leur contexte.
Les crânes en sucre et vous
Vous voulez inclure des crânes en sucre dans vos œuvres, mais vous ne savez pas comment vous y prendre ? Avant de commencer, prenez le temps de réfléchir. Déterminez la raison pour laquelle vous voulez les intégrer à vos travaux. Pourquoi vous inspirent-ils ? Si la seule réponse qui vous vient à l’esprit est de l’ordre du « parce que c’est stylé », arrêtez-vous là, et partez sur une autre idée.
Si votre réponse est plutôt du genre « parce que je veux montrer la richesse de la culture mexicaine », vous êtes sur la bonne voie ! Lancez-vous. Avec prudence, mais allez-y.
Au moment de créer votre œuvre, posez-vous constamment des questions. Comprenez-vous bien la signification des calaveras ? Vous êtes-vous renseigné sur le sujet ? Il est essentiel de toujours se documenter un minimum sur un thème précis : même quand on croit tout connaître d’une culture, on peut toujours être surpris des découvertes faites en cours de route.
Ne limitez pas non plus vos recherches à Wikipédia : vivez l’expérience au-delà de votre écran ! Si vous souhaitez vous informer sur les calaveras et l’art populaire mexicain, demandez à un ami qui fête le Día de los Muertos si vous pouvez vous joindre à lui cette année. Renseignez-vous sur les initiatives de votre ville et n’ayez pas peur d’y participer. Face à un esprit ouvert et respectueux, personne ne résiste à l’envie de partager ses connaissances et sa culture. S’impliquer ne donne pas tous les droits sur une culture, mais apporte un certain recul et une meilleure compréhension.
Dans tous les cas, la clef reste le contexte. Si votre instinct vous susurre que votre œuvre pourrait virer à l’appropriation culturelle, ne prenez pas de risque.
Mais surtout, souvenez-vous : le Día de los Muertos n’est pas la version mexicaine d’Halloween. Non, vraiment pas.