Dialogue avec Squizzato, le pop-constructiviste
De passage à Aix-en-Provence pour prendre un bon bol d’art frais au salon d’art contemporain Sm’art, je rencontre l’artiste Antony Squizzato qui y expose. Nous bavardons de tout et de rien, de Redbubble, et (soyons fous) d’art. J’y ai découvert un artiste sensible, plein d’humour et de bons conseils. Notre conversation était tellement intéressante que je ne résiste pas à l’envie de vous en faire profiter :
« Derrière chaque tableau, il y a une phrase. »
Tu exposes des œuvres avec des univers très différents, comment définirais-tu ton style ?
Mon style vient de la culture digitale, il est assez urbain et contemporain. Je l’ai appelé le pop-constructivisme.
Le pop-constructivisme, c’est quoi ?
J’aime bien les théories des artistes du début du siècle qui ont changé leur vision créative en refusant l’art académique. Ils ont voulu créer une nouvelle vision du monde à travers un art fonctionnel. Chaque forme doit avoir une fonction, puis l’imaginaire des gens leur permet de s’y projeter et d’y ajouter leur propre perfection.
Ça a l’air compliqué !
Au contraire. Ça attire beaucoup les enfants, parce qu’ils n’ont pas été formatés par une pensée unique sur la création. Le milieu de l’art est souvent formaté par des bons penseurs qui décrètent ce qu’il faut aimer ou non. Aujourd’hui, on a peur de ne pas penser comme les autres. Avec le pop-constructivisme, l’imagination permet de s’approprier l’œuvre.
Donc chaque forme que je vois là a une signification, c’est ça ?
Oui. Même le vide, le blanc, représentent une idée, et la personne qui observe l’œuvre va utiliser son imagination pour créer un lien entre les formes. Le vide devient donc un espace de création.
Ça rentre en compte dans ta préparation d’une œuvre ?
Quand je construis un dessin, je m’impose tout un environnement de contraintes, comme par exemple utiliser des ronds, des rectangles, des carrés.
Avant même de commencer ?
Oui, c’est comme un cahier des charges. Et bien souvent, je n’utilise qu’un seul type d’angle. Je peux décider de n’utiliser que des angles à 45° ou des diagonales, comme par exemple pour « Canopy Bird ».
Des fois, je rajoute un deuxième angle à 22,5°, comme pour « Placido flamingo ». Toute la structure de l’œuvre est donc basée sur une grille invisible et chaque élément a son importance, c’est pour ça qu’il faut aller à l’essentiel.
Et les couleurs ?
En général, je pars sur une harmonie de deux ou trois couleurs. J’utilise deux ou trois teintes que je sais complémentaires et que j’associe ensuite à des teintes désaturées ; des noirs ou des gris, qui vont les atténuer.
Tu suis toujours les règles ?
Eh bien non ! Quand je peins à l’huile je me laisse emporter par un côté plus instinctif.
Il y a donc une idée derrière chaque tableau ?
Oui, il raconte une histoire. Derrière chaque tableau, il y a une phrase. « Waiting for tomorrow », par exemple, c’est un oiseau assis sur un fauteuil avec une cité dans le fond. Il signifie qu’à un moment donné, il faut faire une pause, s’asseoir, savoir s’arrêter un instant, et même s’ennuyer pour arriver à se projeter et savoir où aller. Accepter d’attendre.
Où et quand te vient l’inspiration, d’habitude ?
En m’ennuyant. Souvent, quand j’ai un vernissage ou une expo qui arrivent et que je me force à avoir des idées, ça ne marche pas. Moi, c’est souvent en ne faisant rien que les idées émergent, quand je laisse mon esprit vagabonder. Il faut laisser venir à soi les idées.
Tu as tout lâché pour être « artiste à temps plein » ?
Oui, je ne fais que ça. Je me lève le matin et je peins 8 heures par jour, tous les jours.
Alors que dirais-tu à un artiste qui a envie de faire comme toi, mais qui n’ose pas ?
Que si tu ne le fais pas assez tôt, tu vas créer une frustration qui va grandir, et un jour tu vas te retrouver malheureux de ne pas l’avoir réalisé plus tôt. On a beau avoir le style et la technique, le plus complexe dans la création, c’est d’avoir l’énergie de produire et de s’en donner les moyens.
Mais pour en vivre, il faut que ton art gagne en notoriété. Est-ce que tu as peur de mettre tes œuvres en ligne ? Les réseaux sociaux, est-ce que ça t’inquiète ?
Non, un artiste doit forcément le faire s’il veut de la notoriété et vivre de son art. Il faut s’assurer que le site ait l’expérience et les moyens pour protéger votre œuvre, puis il faut foncer, créer, sans regarder en arrière. En général, quand je termine un dessin et que je le diffuse, j’en ai déjà un autre en cours. Celui que j’ai fini, c’est de l’histoire passée, et ça ne me dérange pas qu’il ait sa propre vie.
Comme d’être imprimé sur des pochettes, des coussins et des skins de laptop ?
Oui. Pourquoi la norme serait-elle de regarder les créations sur un mur ? Les surfaces de création doivent aussi évoluer. L’art est fait pour être vu : en le cachant, vous ne le protégez pas, vous l’étouffez. Ce qui est important, c’est l’idée véhiculée et qu’elle soit disponible le plus possible dans le quotidien des gens.